Il nous faut maintenant revenir en arrière pour retrouver le dernier fils du chirurgien Romain Morelot.
Fils
de Romain, il
est né à Beaune le 17 février 1719 et il y décédera le 25
février 1776 à 57 ans. Ancien
aide-major apothicaire dans les armées du roi, il s'installe à
Beaune comme marchand apothicaire vers 1740, d'abord rue du Bourg
Neuf, puis rue Saint-Pierre ; en 1756, il est signalé, sur le
rôle de taille, rue Saint-Étienne.
Une peinture bien connue
des Beaunois, dont l'original est dans l'ancien laboratoire de
l'Hôtel-Dieu, le représente dans son officine. Elle est signée de
Coquelet-Souville, fils du miniaturiste. Son décor ne peut
correspondre à aucun des lieux habités par Morelot. Elle est
probablement inspirée par le frontispice, gravé à l'eau-forte par
Jacobus Harrewyn, de la Pharmacopée
de Bruxelles
parue en 1702 et réédité en 1739.
On
trouve aussi à la pharmacie de l'Hôtel-Dieu un grand mortier en
bronze étamé, avec son pilon en airain percé d'un œillet par
lequel on pouvait le relier à un support élastique qui facilitait
le travail. Il porte l'inscription : Cl.
Morelot, ancien apothicaire, aide-major de l'armée du roi, et
Claudine Léger son épouse – 1760 et
des armoiries
d'azur à un chevron d'or sermonté de deux têtes de maure et une
autre tête en pointe.
Entre 1756 et 1765, il paie une taille
qui évolue entre 25 et 37 livres soit un peu moins que celles de ses
confrères François Routy et François Parizot.
Claude se
marie le 7 janvier 1741 à Claudine Léger, fille de Louis, marchand
à Beaune, et de Claudine Bonnard. Ils auront treize enfants :
-
un seul sera pharmacien, Simon ;
- deux seront prêtres :
Romain et Denis Blaise ;
- trois filles épouseront des
pharmaciens ;
- trois enfants seront mort-nés ;
-
quatre mourront en bas âge.
a)
Romain
Morelot,
né le 14 octobre 1746, devient prêtre. Il est curé de
Saint-Romain, puis curé de Sainte-Marie-la-Blanche uù il meurt le
30 septembre 1783 à 37 ans ;
Denis Blaise Morelot, né le
6 novembre 1747, est sacré diacre à Autun ; bachelier en
Sorbonne, il devient sacristain
de la paroisse des Arcis à Paris. Sur présentation du chapitre de
Beaune, il succède à son frère en 1783 à Sainte-Marie-la-Blanche.
En 1790, c'est lui qui préside l'assemblée des électeurs chargé
de nommer la municipalité.
Le 30 janvier 1791, il prête
serment à la Constitution, mais se rétracte quelques jours plus
tard. Le 20 avril il est dénoncé par l'accusateur public et « des
énergumènes veulent l'empêcher de célébrer ». Mais il est
toujours là le 6 octobre, car il procède à l'inhumation d'une
carmélite.
Il est remplacé ensuite pendant trois mois par
François Nouvelier, puis par le Curé Pignolet qui assure l'intérim
jusqu'à la nomination de Jean-François Fleury-Lardan. Le 11 mars
1792, il est transféré à Dijon et incarcéré avec tous les
prêtres insermentés dans le ci-devant séminaire. Ces arrestations
seront déclarées illégales et les prêtres libérés mais la
législative ordonne leur déportation. Denis Blaise reçoit donc un
passeport pour Neufchatel avec dix livres et seize sols pour le
voyage.
Il restera en Suisse jusqu'en 1802, date à laquelle on
le retrouve à Beaune desservant Sainte-Marie et Combertaut. Après
un passage à Aubigny et Blagny, il retrouve sa paroisse de
Sainte-Marie quelques mois avant de mourir le 10 septembre 180543.
b)
Simon
Philippe Morelot
nait le 4 juin 1751. Après des études classiques au collège des
Oratoriens, il étudie la pharmacie dans plusieurs officines pendant
huit ans dont quatre à Paris. Le 14 novembre 1778, il est admis par
les prévôts du Collège de Pharmacie de Paris à subir les examens
nécessaies, prescrits aux aspirants à la maîtrise par l'arrêté
du Conseil d'État du Roi du 11 septembre 1778. Il doit fournir un
certificat de baptême, un certificat de bonne vie et mœurs, et une
attestation constatant qu'il a étudié et exercé la pharmacie
pendant plus de huit ans dont quatre à Paris. Il doit aussi
justifier d'une connaissance suffisante de la langue latine en
expliquant différents passages d'un auteur latin.
L'arrêté
prévoit aussi qu'après sa réception, « il devra renoncer à faire
le commerce de l'épicerie directement ou indirectement, et même par
forme d'association ou de voisinage,
sous
peine de confiscation et d'être déchu de son titre de maître en
pharmacie et du droit de tenir officine ouverte ».
Le
19 janvier 1780, après avoir subi avec succès les épreuves orales,
il pratique, en trois jours, neuf préparations selon le codex de
Paris, en expose la dispensation et en fait la démonstration. Ces
préparations sont reportées sur une grande feuille intitulée «
Synthèse » et rédigée en latin. Les examinateurs doivent
l'approuver et signer au bas du document44.
Il
s'installe alors à Paris, d'abord en achetant le fonds de Monsieur
Marce, pharmacien privilégié rue Saint-Martin et apothicaire
de la compagnie des Cent Suisses de la garde du Roi. Il fonde ensuite
une officine grande rue du Faubourg Saint-Martin, une troisième rue
Saint-Jacques près de Saint-Benoît, et, à partir de 1805, rue de
la Harpe.
Le 28 avril 1772, il avait épousé à Paris
Marie-Anne Lechasseur, fille de Jean-Guillaume et
Anne-Marie Janson, mariés eux-mêmes depuis le 14 juin 1755.
Morelot
fait partie de la Société de pharmacie
de Paris, fondée en 1796 par les membres
du ci-devant Collège de pharmacie et il assure
des
cours gratuits de matière médicale et de pharmacie. Il est
secrétaire adjoint de l'école fondée par la Société en l'an IV,
qui deviendra par la suite l'école
supérieure de pharmacie
de Paris.
En l'an VIII
(1800), il est nommé pour six ans professeur d'histoire naturelle
et, en l'an IX,
député du conseil de la Société. Sa notoriété lui vaut d'être
inspecteur des pharmacies centrales des prisons du département de la
Seine.
En juin 1804, il demande au ministre de la Guerre d'être
affecté dans l'armée impériale.
Le 2 juillet, il est nommé pharmacien de 1e
classe à l'armée de Brest. Il donne des cours de pharmacie à ses
subordonnés et obtient une permission pour acheter du matériel à
Paris45.
Pharmacien
major, il suit la Grande Armée dans ses campagnes d'Allemagne et de
Prusse. A Leipzig, il donne des conférences gratuites en français
sur la chimie et l'histoire naturelle fondée
sur la chimie. Ces cours ont lieu dans l'amphithéâtre du Docteur
Haubold, assesseur à la cour suprême ; ils sont suivis par un
public choisi de curieux et d'universitaires. « Il a su donner
du charme et de l'intérêt à cette science aride par elle-même,
grâce à de nombreuses expériences toujours réussies et grâce à
une diction vive et fleurie qui s'élevait souvent de la facilité de
parole à la véritable éloquence. » Avant de quitter Leipzig, il
est nommé Membre
d'honneur de l'Université
(et non pas docteur en médecine, comme cela figure dans ses
biographies)46.
Il
demande ensuite un congé de deux ou trois mois pour régler « une
affaire litigieuse de famille en souffrance depuis qu'il a
l'honneur d'appartenir à la Grande Armée ». Il demande à
conserver ses émoluments car « sa situation de fortune est modique
et ne lui permettrai pas d'entreprendre ce voyage dispendieux ». Le
12 juillet 1808, il écrit de Paris au ministre Dejean pour demander
à être élevé au grade de pharmacien principal dans l'armée qui
lui plaira. Il obtient satisfaction et, le 30 septembre, il est
affecté au 7e
corps d'armée en Espagne.
Adolphe Fabulet, pharmacien major
dans la même unité, écrivit dans le Bulletin
de Pharmacie
(t. II, année 1810) cette note très élogieuse :
«
Morelot ne se contentait pas aux armées d'enrichir la science par
ses écrits ; tous ses loisirs étaient féconds et avaient un
but honorable. Il portait infiniment d'attachement à ses subordonnés
et faisait consister son bonheur à leur être utiles. On l'a vu
même, au quartier général du corps d'armée, faire en leur faveur
des cours de chimie pharmaceutique avec autant de soins qu'il aurait
pu en mettre dans une école pratique en temps de paix. Il avait un
grand amour pour la science qu'il cultivait avec autant de
distinction et chercha toujours à l'entourer de beaucoup
d'éclat, pénétré de son importance ; la pharmacie était à
ses yeux un art sublime dont la culture devait honorer des gens bien
nés. Il aimait passionnément le
travail ; doué d'une mémoire prodigieuse et d'une facilité
extrême, il composait ses écrits au milieu du tumulte des armes et
des horreurs de la guerre. Son Histoire
naturelle appliquée à la chimie, aux arts, aux différents genres
d'industrie et aux besoins personnels de la vie
fut conçu et rédigé en Pologne dans une chaumière, sans le
secours d'aucun auteur classique. »
Il n'oubliait pas non plus
ses origines bourguignonnes. En 1802, il avait lu à la Société
de Pharmacie un mémoire sur les vins médicinaux et examiné « les
bonnes qualités qui contituent les vins généreux ». Dans son
ouvrage sur la
Pharmacie en Bourgogne avant 1805,
Baudot cite le
Traité de la vigne et de ses produits
dans lequel L. Portes et R. Ruyssen écrivent (tome II, p. 487) :
« Il faut arriver aux cours de pharmacie de Simon Morelot
pour avoir des détails précis et exacts sur la manière d'analyser
les vins ».
Simon
Morelot meurt le 18 novembre 1809 dans sa maison d'habitation au
quartier général du corps
d'armée
à Fornella près de Gironne en Catalogne, d'une « fièvre
adynamique » (très probablement le typhus exanthématique).
Le
10 novembre, il avait écrit à son gendre Denohe, employé au
ministère de la Marine, qu'il était « dangereusement malade ».
Le
21 novembre, ses héritiers ne s'étant pas présenté (ils n'avaient
pas été prévenus car son gendre dut écrire au ministre de la
Guerre le 7 décembre pour avoir des nouvelles), ses effets furent
vendus à l'encan. Il existe un état de cette vente qui rapporta 1
228 francs, compte tenu des frais funéraires estimés à 137
francs.
Sa
veuve eut beaucoup de mal pour récupérer cet argent ainsi que les
émoluments dus à son mari. Pratiquement sans ressources, elle
quitta son domicile de la rue de la Harpe pour habiter chez sa fille,
33 rue Blanche de Castille, puis, en 1810, 17 rue des Deux Ponts à
l'Ile Saint-Louis. Le 29 décembre 1810, un décret de Napoléon lui
attribue, à titre exceptionnel, une pension viagère de 300
francs47.
Simon Morelot fut une des victimes des guerres de la Révolution et de l'Empire qui entrainèrent la mort de plus de 2 000 officiers de santé (médecins, chirurgiens et pharmaciens), de blessures ou de maladies.
c)
Jeanne
Catherine Louise Morelot
Sœur
du pharmacien Simon, elle est née le 26 novembre 1748.
Elle épouse, le 18 janvier
1769, Jean-Baptiste Ganthret, pharmacien de 23 ans, fils de feu
Claude, marchand à Marigny et de Marie Magdeleine
Panneton.
Son tuteur était Claude Gantheret, de Bourguignon. Assistait aussi à
son mariage le fils du précédent, prénommés aussi Claude, qui,
après des études médicales, exploitait ses propriétés. C'est lui
qui sera maire de Meursanges et député à l'Assemblée
constituante et qui écrira de Paris à son beau-frère Pierre
Leflaive, chirurgien retiré au Poil, commune de Montagny, époux de
sa sœur Philiberte. Le petit-fils de Pierre Leflaive, Laurent, sera
chirurgien de l'Hôtel-Dieu.
Jeanne Catherine mourut pendant la
Révolution au château de Laborde. Elle laissait deux fils, et une
fille carmélite à Sens.
d)
Marie
Claudine Morelot,
née le 20 janvier 1750, épouse, le 24 janvier 1769, Pierre
Marguerite Estienne (1744-1819), pharmacien et propriétaire, fils de
Louis Estienne, marchand orfèvre et d'Anne Parigot.
Dans sa
séance du 13 octobre 1793, le comité de surveillance
révolutionnaire de Beaune lance contre elle un mandat d'arrêt :
« La femme d'Estienne, apothicaire, mère de cinq enfants et utile
pour gouverner sa maison ; fanatique partisane des prêtres
réfractaires, renommée pour être une messagère des aristocrates
de tout genre, se plaisant à apprendre des fausses nouvelles pour
décourager les patriotes et affermir les aristocrates dans leurs
principes48.
»
Elle
aura effectivement cinq enfants :
- Émiland, né en 1771,
sera médecin à Paris ;
- Edme Anne Julie, née en 1776,
épousera en 1796 le pharmacien André Pallereau, reçu maître à
Abbeville en 1778, fils de Claude, marchand tanneur à Dijon. Il
succédera à son beau-père Pierre Marguerite Estienne. Leur fille
Marie Zoé (1798-1835) sera religieuse à l'Hôtel-Dieu ;
-
Romain,
né en 1778 ;
- Marie Reine (1780-1837) reste
célibataire ;
- Claude, né en 1782, maître en pharmacie
à Paris, sera pharmacien major dans l'armée et habitera Toulouse en
1853.
e)
Reine
Morelot,
née le 8 février 1755, épouse le 30 juillet 1776, Jacques Jardet,
marchand apothicaire, né à Chalon-sur-Saône en 1751, fils de
Jean-Baptiste, bourgeois.
Le 11 février 1787, Jacques Jardet
vend son officine de la rue Saint-Pierre à Beaune pour 8 000 livres
à Claude Étienne Gremaud. C'est ce dernier qui, pendant plusieurs
années, initiera à l'art de la pharmacie quelques religieuses de
l'Hôtel-Dieu.
Leur fils Jacques Nicolas Jardet, né le 18 août
1777, s'engage en juillet 1793 comme grenadier au 8e
bataillon de la Côte-d'Or. Il
monte en grade dans l'armée des Alpes, puis dans celle du Rhin.
Capitaine rapporteur au premier conseil de guerre de la division de
Lombardie, il termine sa carrière comme colonel et meurt en Espagne.
Il aurait encore des descendants de nos jours.