Il y avait jadis dans la rue Mercière une maison « où estoit pour enseigne l’Ange » ; là demeurait le fameux libraire Guillaume Rouillé. C’était un éditeur de grand renom. Il avait pour voisins : « de bise » l’imprimeur Thibaud Payen ; « de vent » son confrère Symphorien Béraud, à l’enseigne de Sainct Loys. Cette maison porte aujourd’hui le numéro 34 de la rue Mercière et, sur le quai Saint-Antoine, le numéro 25.
Après la mort de Rouillé, sa librairie, à la suite de bien des avatars, échut à Claude Prost, « qui faillit à ses créanciers » puis, en 1650, elle passa aux mains de Borde, Arnaud et Rigaud, déjà associés aux héritiers de Pierre Prost.
Bref, vers la fin du dix-septième siècle, aux environs de l’année 1682, la maison de l’Ange changea de nom. Louée « en totalité » à Pierre Valfray, libraire, elle prit pour enseigne à la Couronne d’or, qui était la marque de ce dernier.
Pierre Valfray était fils de Guillaume Valfray, maître imprimeur à Lyon, lui-même fils d’Antoine Valfray, chirurgien d’Annecy en Genevois. Fort riche et pareillement considéré, Pierre Valfray fut, en 1683 et 1689, désigné pour participer aux élections des officiers municipaux puis, en 1703, il fut nommé recteur du Grand hôtel-Dieu du Pont du Rhône. Mais quand, en 1712, les suffrages de ses concitoyens le désignèrent pour exercer les mêmes fonctions à l’Aumône générale, il en alla tout autrement.
Valfray refusa net cette dignité coûteuse, arguant de son grand âge. On eut beau lui députer deux recteurs « pour luy apprendre sa nomination » ; on eut beau « le faire prier par ses amis » ; on eut beau « avoir recours à M. le Prévôt des Marchands », qui« voulut bien s’employer à cette occasion », Valfray fut inébranlable, et rien ne réussit à « vaincre son esprit obstiné ».
De guerre lasse, les recteurs en charge en écrivirent au maréchal de Villeroy, à l’occasion des compliments du nouvel an : « L’âge de M. Valfray, disaient-ils, luy laisse une santé vigoureuse, et le sieur Rousselet, qui entre volontairement, est aussi âgé et moins robuste que luy ».
Rien, en effet, ne semblait empêcher Valfray d’accepter la mission de confiance qu’on lui offrait. Il avait près de lui un fils de 35 ans qui le secondait dans son industrie et le soulageait de son mieux. Ses soixante-quatre ans ne lui pesaient pas à ce point qu’il dût songer à la retraite. Quant à sa situation de fortune, « toute la ville savait que ses biens étaient considérables », puisque, aussi bien, « il offrait de l’argent pour s’exempter du service de la Charité ».
La toute-puissante autorité du gouverneur vint-elle à bout de l’obstination de Valfray ? Le fait est qu’il occupa, en 1713, la place de recteur de l’Aumône.
Pierre Valfray fut l’un des imprimeurs français qui, d’ordre et pour le compte de son compatriote Étienne Michallet, qui était imprimeur-libraire à Paris, imprima le plus de ces petits livres de dévotion et mysticisme destinés à la propagande. On était à la fin du dix-septième siècle, à cette époque « où Louis XIV, orientant sa politique vers l’unité de la religion, acheminait le pays à accepter sans trop de secousses le nouveau régime qu’il lui préparait ». Valfray imprima aussi de cette sorte de livres pour le compte d’un certain Rollin de Lyon.
En 1715, et par provisions du 10 novembre, Pierre Valfray fut désigné par le roi pour succéder à François Barbier, qui venait de mourir, dans les fonctions d’imprimeur de Sa Majesté à Lyon. Quelles sont les raisons qui l’empêchèrent d’occuper la place si recherchée que lui offrait la munificence royale ? Je n’ai pu le savoir au juste, mais l’on peut vraisemblablement supposer que, âgé de près de 70 ans, Valfray se décida à la retraite. En effet, dès janvier 1716, son fils Pierre II est en possession du titre d’imprimeur du roi.
Pierre II Valfray fut désigné, en 1723, pour participer aux élections des officiers municipaux. Il avait été choisi par l’archevêque François-Paul de Neuville pour imprimer les papiers du diocèse, et c’est à ce titre qu’en 1728, il édita « une feuille de supplément au Breviaire romain, dans laquelle se trouvait un office consacré à la mémoire du pape Grégoire VIII ». On y voyait « ce qu’il y a de plus capable d’inspirer l’excès des prétentions ultramontaines... ». Par arrêt du 20 juillet 1729, le parlement de Paris jugea que cette feuille serait purement et simplement supprimée. Aussitôt, le lieutenant général de police, Ravat, ordonne des recherches dans les ateliers de Valfray, et défense lui est faite, de même qu’à tous ses confrères, de vendre et de débiter désormais cette feuille. Cette interdiction est du 9 août 1729.
Plus prudent que ne l’avait été François Barbier, son prédécesseur, qui avait négligé de faire entériner ses provisions, Pierre II Valfray fit enregistrer en Parlement celles qu’il avait obtenues du roi et après avoir, le 8 février 1716, prêté le serment « en tel cas requis », par-devant René Le Meunier, serment renouvelé le 20 juin en suite d’un« relief d’adresse sur ses lettres », le nouvel imprimeur du roi s’apprêtait à jouir paisiblement de son office, lorsqu’un incident qu’il n’avait évidemment pas prévu faillit le priver tout de suite de son bénéfice : la veuve de François Barbier, sous prétexte que « de temps immémorial ceux de la famille de son mari, tant du côté paternel que maternel, avaient été Imprimeurs du Roy en ladite ville » de Lyon, s’avisa de « jouir du privilège de la même manière dont les veuves des Imprimeurs de Sa Majesté à Paris en jouissaient durant leur viduité ».
Il faut croire que la prétention de madame Barbier était excessive. Le roi le lui fit savoir par un arrêt du 16 mars 1717, qui la débouta de sa demande, sauf, dit cette décision, « de continuer la profession et le commerce d’Imprimerie et Librairie », mais« sans qu’elle puisse prétendre partager avec Valfray les fonctions de seul imprimeur et libraire de Sa Majesté en la Ville de Lyon ».
Comme l’avait été son père, Pierre II Valfray fut nommé en 1735 recteur de l’Aumône générale et trésorier de ses deniers. Il cessa en 1742 d’exercer l’imprimerie mais non sans avoir assuré à Pierre Valfray son fils, troisième du prénom, la concurrence et survivance de sa charge d’imprimeur du roi, et la clientèle de l’archevêché.
Depuis quatre ans déjà, Pierre II Valfray avait acquis de l’hoirie de Bernard Pech le domaine de Salornay en Dombes, situé sur la commune de Montanay, dépendant du marquisat de Neufville. Parvenu en 1742 aux honneurs consulaires, il exerça les fonctions de l’échevinage pendant les années 1743 et 1744. C’est alors qu’il profita de l’anoblissement que lui conférait cette dignité pour prendre le nom de sa terre de la Tour de Salornay.
Pierre II Valfray testa en 1740, mais il ne mourut qu’en 1747. Sa veuve, Marie
Besseville, fit aux recteurs de l’Aumône générale avance d’une somme de 65 400
livres pour les besoins de cet établissement. La fille de Pierre II Valfray, Jeanne, fut
mariée à Balthazar Michon, fils de Léonard Michon, chevalier, conseiller du roi et son
avocat au bureau des finances de la généralité de Lyon.
Par provisions du 18 juin 1740, enregistrées le 17 juin de l’année suivante, Pierre III
Valfray fut maintenu dans la fonction de son père comme imprimeur du roi. En 1749, il
quitta la maison de l’Ange devenue, du fait de son grand père, la maison de la
Couronne d’or. Il alla à ce moment s’installer dans la rue Saint-Dominique, qu’il
abandonna en 1768 pour les halles de la Grenette.
Pierre III Valfray fut lui-même écuyer, seigneur de la Tour de Salornay. Il contracta deux mariages, le premier avec Élisabeth Quatrefage de La Roquette, célébré à Ainay le 24 mai 1746, le second à Saint-Pierre-Saint-Saturnin le 13 avril 1763, avec Félicianne Lorenzo de Noboa, fille d’un négociant de Cadix. Sa fille, Marie-Élisabeth, épousa en 1764 Antoine-François Prost de Royer, écuyer, avocat en parlement et ès cours de Lyon, fils de François Prost, ancien échevin de Lyon.
Les Valfray ont laissé une oeuvre typographique considérable, dont on trouvera la plus grande partie dans la collection Coste de la Bibliothèque de Lyon, notamment sous les mandements des archevêques, depuis François-Paul de Neufville jusqu’à Montazet. Les derniers Valfray portaient d’argent, au triangle renversé d’azur, chargé d’un soleil d’or.